Jusqu’ici, je n’ai pas souhaité communiquer sur mon éviction de Fluide glacial le 1er février dernier, mais la propagation sur certains réseaux ou dans certaines publications – donc dans l’opinion et la profession – de rumeurs délétères me concernant et concernant cette affaire, m’y contraignent. Ces rumeurs sont émises parfois en réponse aux questions légitimes de certains lecteurs, professionnels ou simples fans, étonnés de la rapidité de ce départ et de l’absence de toute explication dans le magazine. Le bruit court, y compris dans le magazine et les réseaux sociaux, qu’à l’image de mon ami Bruno Léandri, j’aurais quitté ce journal (après 39 ans de collaboration régulière sans aucune interruption), de mon plein gré et pour « prendre ma retraite ».
Or :
1 – À l’heure où j’écris ces lignes je n’ai pas pris ma retraite, même si j’y suis désormais contraint, car Pôle-emploi a bien entendu rejeté toute demande d’indemnité pour quelqu’un qui « a l’âge de prendre sa retraite ». Désormais sans aucun revenu régulier, je n’ai plus le choix. Ai-je besoin de dire que cette retraite sera dérisoire et ne me permettra même pas de payer mon loyer ?
2 – Plusieurs de mes camarades « fluidosaures » (= ceux qui travaillent dans ce canard depuis les 100 premiers numéros) ont pris leur retraite dans les années précédentes. Tous sans exception continuent à travailler au magazine, payés en droits d’auteur et non plus en salaires comme cela est autorisé par la loi. Bien qu’ayant choisi la formule « clause de cession », un autre célèbre rédacteur figure toujours au sommaire de chaque numéro.
3 – Je n’ai pas souhaité quitter ce magazine et ne suis pas parti de mon plein gré. Ceci malgré des divergences avec le nouveau rédacteur en chef sur ma collaboration.
4 – Me renseignant sur les conditions d’une retraite à venir, j’ai été informé par la DRH du groupe Flammarion qui possède le magazine, que j’aurais en ce cas droit à une « indemnité de départ » de 5 mois, soit 5 fois mon dernier salaire. Dans le même temps, j’ai appris que le récent rachat du groupe Flammarion par Gallimard me permettait, comme certains fluidosaures avant moi, de bénéficier de la « clause de cession », une disposition particulière aux journalistes en cas de rachat, qui leur permet de partir dans les mêmes conditions que lors d’un licenciement. Quand on a l’ancienneté qui est la mienne, cela ne fait pas la même somme à toucher (mon meilleur salaire mensuel multiplié par le nombre d’années, soit 38). Mon intérêt était évident : choisir cette solution, quitte à rester absent quelque temps des pages du magazine, plutôt que de me contenter des 5 mois de salaire.
5 – M’en étant ouvert au rédacteur en chef et à l’éditeur des albums, tous deux m’ont alors vivement prié de n’en rien faire, étant donné le fragile équilibre du magazine (qui a géré d’autres départs et quelques procès en cours). Très attaché à ce journal, j’ai donc cherché une solution qui satisfasse les deux parties. Sachant qu’une fois ma retraite prise, rien, à aucun moment, n’obligerait la rédaction à me garder, il leur suffirait de cesser de me publier (sans indemnité cette fois).
6 – J’ai donc proposé officiellement de ne pas prendre la « claude de cession » mais une retraite simple. En échange, j’ai demandé que l’on m’assure la suite de ma collaboration et qu’une augmentation compensatoire soit mise en place afin que je ne sois pas perdant sur toute la ligne. Ainsi, pas de déséquilibre brutal dans les finances du magazine.
7 – En parallèle, lors de discussions avec le rédacteur en chef, j’avais même avancé l’idée de réduire ma participation, par exemple en « vendant » le concept de la « Gazette de Frémion » avec ses fameuses marges (prétexte mensuel au bouclage et seul lien constant entre les collaborateurs). Depuis quelque temps, cette Gazette ne me ressemblait plus, repensée derrière mon dos tous les mois par le rédac’ chef, avec des dessins parfois refusés par moi, ou un retour malsain du « pipi-caca » dont l’image de Fluide s’était défaite depuis un quart de siècle. Cette solution aurait arrangé tout le monde et la rubrique serait devenue la « Gazette de Fluide » ou la « Gazette de Lindingre », je n’aurais plus apposé mon nom sur des choix qui n’étaient pas les miens.
8 – La réponse à mes propositions, après un long silence de tous les intéressés, m’a été faite par téléphone, par la DRH de Flammarion. C’était un rejet de mes propositions, « la direction et la rédaction étant unanimes » à ne pas souhaiter que je poursuive ma collaboration, dans aucune des deux hypothèses » – c’est-à-dire même en cas de départ normal à la retraite. Il s’agissait donc bien d’un licenciement déguisé, et il ne me restait plus qu’à opter pour la « claude de cession », ce que j’ai fait aussitôt. La procédure (un arbitrage) est en cours.
Voilà donc fidèlement restitué les faits.
La suite de l’article : Actualité Bande Dessinée : Frémion-Fluide, (mauvais) clap de fin.