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Interview de José Jover pour le journal de l’animation

Animateur en bande dessinée

ANITA COMIX au KB

De la même manière que tout le monde est aujourd’hui convaincu que nombres d’enfants et d’adolescents « ne savent pas ou n’aiment pas lire », on entend encore certain affirmer bêtement que « lire de la bande dessinée détourne de la lecture ». Quelques animateurs sur notre territoire s’emploient à nous prouver le contraire. Rencontre avec José Jover, passeur d’images narratives d’une part et l’équipe de l’Avis des bulles, d’autre part.

José JoverPlutôt que de choisir entre le métier d’animateur et celui d’auteur illustrateur en bande dessinée, José Jover prend le parti de devenir animateur en bande dessinée pour transmettre sa passion et donner la parole à ceux qui ne l’ont pas toujours. Et comme les interventions ne suffisent pas à son appétit et sa passion, il devient lui-même éditeur pour défendre ses idées, ses générosités.

 « Tout expression narrative passe par l’écrit »

Rencontre avec José Jover

José Jover et VinzL’histoire commence par un courrier adressé à notre rédaction : « Par hasard, chez mon marchand de journaux, je suis tombé sur votre revue. Alors comme vous le proposez, je vais vous parler de moi et de mes activités. Je suis un passeur d’images narratives, autrement dit, la bande dessinée. Depuis 25 ans, je suis auteur et dessinateur de BD et depuis maintenant 20 ans j’anime des ateliers d’initiation à la narration par la BD, et cela dans tous types de structures : bibliothèques, médiathèques, SMJ, centres culturels, écoles, collèges, lycées, Facultés, comités d’entreprise, hôpitaux (en pédopsychiatrie et centres de désintoxications pour toxicomanes adultes, prisons pour adultes ou adolescents. Depuis maintenant 6 ans, je suis aussi éditeur de livres jeunesses et de BD. » Dans le colis qui accompagne ce courrier José Jover nous adresse nombres d’ouvrages réalisés lors de récentes interventions, et bien sûr, les derniers albums de sa maison d’édition Tartamudo.

Atelier BD Créteil

Quelques-uns des cinquantaines de bandes dessinées réalisés avec différents groupes : « L’alcool à l’ombre », « Les accrocs de la BD » et « H à l’ombre » réalisé avec des détenus de la prison de Fleury-Mérogis avec le concours de la Croix rouge Française, l’hôpital de jour Pierre-Nicole à Paris, « Dans ma commune » sur la drogue avec la DDJSL Essonne, la DASS, le conseil général, « Amitié, solidarité » avec le Comité d’entreprise Renault Le Mans, « ma petite BD est comme l’eau… » par les enfants des centres de Vacances du CCE Générale des eaux, etc.

Atelier BD Créteil 1

Journal de l’animation : D’où vient ce mot de Tartamudo ?

José Jover : Tartamudo, cela veut dire le bègue en espagnol. Je suis espagnol d’origine et puis le nom sonne bien. Et lorsque l’on lit on ne bégaie pas avec les yeux. Je suis en combat contre l’illettrisme, je lutte à travers les ateliers que je propose.

 J.D.A. : Comment avez-vous commencé ce travail d’animateur en bande dessinée ?

José Jover : J’ai toujours eu une passion de la lecture, j’ai grandi dans un quartier populaire à Toulon où les livres avaient beaucoup d’importance. J’ai fait plusieurs boulots et des plus durs comme soudard aux chantiers de La Seyne ou de La Ciotat. J’ai un frère agrégé de mécanique qui faisait partie d’un collectif politique pendant les années 70. C’est lui qui m’a incité à tenter le concours des beaux-Arts à Paris. Ma passion, ça toujours été le dessin, pour raconter des histoires. De nombreux cinéastes ou écrivains sont de très bons dessinateurs. La BD, c’est plus économique, plus rapide. Gamin je lisais tous les fascicules de gares : Akim, Tartine, Pim Pam Poum Pipo. Je viens des sous-prolétariats, mes parents avaient le respect et le goût des livres et de la chose imprimée. La grande révolution du XXe siècle ce n’est pas l’homme qui a marché sur la Lune, c’est le livre de poche, la grande littérature à la portée de tous. J’ai dévoré Dostoïevski, Pearl Buck, Tolstoï, les Sélections du Reader digest, tout ce qui me tombait sous la main. J’avais soif de mots et de lettres. J’ai passé un CAP d’emploi de bureau. Mais le grand virage, c’est vraiment mon frère à Paris. J’ai préparé les Beaux-Arts à Toulon dans un préfabriqué prés de la bretelle d’autoroute, et surtout j’ai rencontré un maître graveur de 70 ans, qui m’a appris les eaux fortes, les pointes sèches. Mes premiers pas dans une école d’art, c’est en 74. On pouvait y rentrer sans avoir le bac, j’ai réussi avec mention, le jury était impressionné par mes connaissances en gravure. La même année j’étais étudiant aux beaux-Arts, engagé à la CGT et je me suis fait naturalisé français. J’avais comme amis Farid et Mourad Boudjelal, ils me disaient à l’époque « Tu comptes sérieusement vivre du dessin ? », je faisais aussi beaucoup d’arts martiaux. J’ai un caractère bien trempé, j’avais besoin de me donner des assises.

José atelier BD Créteil 2013 - 1

J.D.A. : Et l’animation là-dedans ?

José Jover : J’ai commencé comme animateur à Épinay sur seine, avec les Francas. C’était un moyen de gagner ma vie. C’est là que j’ai découvert que je prenais goût à faire passer les choses, je suis un peu missionnaire, curé… mais pas jésuite !Je travaillais dans une maison de l’enfance, un club ouvert. Et puis très vite, je me suis orienté vers les comités d’entreprises avec la BNP qui avait un centre aéré permanent pendant les vacances et les mercredis à Louveciennes. Puis, ça été le CE de la Banque de France. Au bout de la cinquième année, j’étais à mon apogée pour le métier d’animateur et j’ai passé mon BAFD avec les Ceméa. Pendant ce temps, en 82, j’ai publié mon premier livre de BD « Fictionnettes » avec André Igwal. J’avais comme copains Caro et Jean-pierre Jeunet qui m’emmenaient voir les dessins animés des frères Fleischer (Betty Boop, Popeye). C’est la grande période des magazines de BD, j’ai travaillé pour Circus, Métal Hurlant, Pilote, etc. Mais à ce moment, je quitte l’animation, c’est trop je ne peux pas faire deux métiers en même temps.

J.D.A. : Et comment sont venus ces temps de formations en Bande dessinée ?

Salon de Luchapt

José Jover : On ne dit pas formation, on dit interventions ! Cela vient de mon copain Igwal qui était professeur d’histoire-géo dans un LEP à Bagnolet. Je venais rencontrer les élèves avec des auteurs comme Jean Solé, Gérard Mathieu, Coucho et un tout jeune David Beauchard. J’ai commencé à publier dans la presse enfantine pour un magazine qui s’appelait Virgule édité par le syndicat national des instituteurs. Des précurseurs qui ont fait travaillé des gens comme Pef ou Gudule. Nous étions payés avec les bourses du Lep, puis le bouche à oreilles a fonctionné, je suis intervenu dans les bibliothèques, les collèges. En fait de mes deux métiers, je n’en faisais qu’un. En 1984, nous participons à la première marche des Beurs, avec une exposition sur les enfants de l’immigration. C’est là que nous avons inventé le mot « beur » qui vient du verlan rebeu pour dire arabe ! en parallèle l’équipe du journal Actuel lance Zoulou, pour lequel je travaille. Puis je rencontre Jean-Michel Aupy qui crée la première agence de communication par la bande dessinée. Nous bossons pour Yamaha, Léo Lagrange, etc.

J.D.A. : Vous quittez donc le monde associatif et l’éducation populaire ?

José Jover : Non, puisqu’en 1986, les bibliothèques me demandent de concevoir un projet d’initiation à la BD. C’est là que je formule ma méthode que j’ai souvent testée en animation avec Farid Boudjellal. C’est pour la médiathèque des Ulis dans l’Essonne. Là c’est l’explosion, je m’appuie sur les notions de projets que j’avais apprises et mises en place avec les Francas et les Ceméa. J’ai un vrai souci de la pédagogie. La lecture, c’est rigolo ! La bande dessinée c’est un vecteur merveilleux, c’est le domaine de l’expression narrative comme le cinéma, la littérature, le théâtre et la radio. Comme le dit Mac Luhan : l’image est le message. J’ai beaucoup de demande pour les comités d’entreprises, la CCASS et ses 400 centres de vacances (ils font un travail vraiment sérieux pour le livre avec leurs bibliothèques ouvertes jour et nuit). Je me déplace dans beaucoup de villes, j’incite tout le temps à observer comment je fais pour que les animateurs puissent transmettre ensuite à leur tour.

Pub BD Tartamudo

J.D.A. : En quelques mots quelles sont les richesses du média BD ?

José Jover : C’est simple, tout expression narrative passe par l’écrit. On invente un personnage, puis une situation. L’enfant ou le jeune devient inventeur, créateur de son personnage, l’écrivain de sa propre histoire. Il faut un découpage ludique et rythmique. Il faut à la fois le lâcher et le retenir – un bon animateur sent très bien cela – Puis il fait la mise en scène, les cases. On agit dans le sens de la lecture, cela structure son esprit. Ensuite, il est décorateur, dialoguiste, coloriste. C’est un apprentissage de la lecture, de la narration en image. J’apprends à lire à des enfants. La notion de c’est bien ou mal dessiné n’a pas d’importance. Il faut essayer d’être lisible pour son lecteur, on n’est pas dans le dessin, mais dans l’écriture.

Interview réalisée par Pierre Lecarme