L’écrivain algérien francophone Yasmina Khadra était candidat contre Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle, mais les menaces et les embûches ne lui ont pas permis de poursuivre son parcours. Début février, alors qu’il sillonnait son pays, il avait reçu « Marianne » pour raconter sa patrie et son périple. En ce jour d’élection où chacun retient son souffle, le diagnostic dressé par le romancier algérien le plus lu au monde qui est aussi l’ex-commandant de la lutte anti-terroriste dans l’Oranie, est plus que jamais d’actualité.

Marianne : Qu’est-ce qui vous pousse à briguer la présidence de l’Algérie?
Yasmina Khadra : L’écrivain ne doit pas occulter l’être et le citoyen. D’abord, depuis très longtemps, il m’était insupportable de voir mon pays aller à la dérive. Il n’y a aucune raison pour que l’Algérie échoue : elle a tout le potentiel nécessaire pour devenir une nation sereine, ambitieuse, prospère. Ensuite, quand on sort indemne d’une guerre — notre guerre contre l’intégrisme entre 1991 et 1999 —, on culpabilise. Depuis que j’ai quitté l’armée, j’ai toujours voulu légitimer ma survie. Je me suis donné comme mission de ne jamais oublier ceux qui sont morts, d’être digne de leur avoir survécu. Enfin, je pense qu’un pays sans culture est un pays livré à l’animalité et au chaos. Il est donc logique en tant qu’intellectuel de me lancer dans ce combat pour le guérir.
L’islamisme a été vaincu militairement en Algérie, mais l’islamisme sociétal et comportemental semble l’emporter. Comment vaincre cet ennemi qui s’appelle l’obscurantisme ?
A l’origine de cette dérive, il y a la chosification de la jeunesse, l’absence de tout projet de société, la démolition du rêve. Autant d’ingrédients à identifier et à détruire. Pour couper l’herbe sous le pied de l’intégrisme, il faut redonner de l’espoir aux Algériens, leur prouver que le paradis est au bout de la main d’un homme, pas au bout de sa vie. Je reviens d’un périple de 10 000 km à travers le pays. J’ai vu la démission, le renoncement. L’Algérie est plongée dans une convalescence interminable. Les gens sont encore traumatisés par la décennie noire, laminés. Paradoxalement, c’est chez les intellectuels, les notables, que le renoncement est le plus ancré. Le petit peuple, lui, attend encore quelque chose mais il ne sait plus quoi.
La suite de l’interview : Yasmina Khadra : « L’Algérie est à la veille d’une insurrection »
Propos recueillis par Martine Gozlan pour le magazine Marianne